Essai d'évaluation
du nombre de rangs au Québec
par
Louis-Edmond HAMELIN
professeur émérite de géographie
Université Laval, Sainte-Foy (Québec), G1K 7P4
Résumé
Cette étude quantitative de géographie historique réalisée à partir d'archives, de cartes et de relevés s'intéresse à un phénomène géographique majeur au Québec : le rang. Trois aspects sont considérés : 1) l'ouverture des rangs (1 900 en 1835, 12 000 en 1948); 2) l'occupation des rangs qui suit une courbe concave-convexe avec un maximum d'environ 6 700 rangs habités au cours du premier quart du XXe siècle; 3) la fermeture des rangs. L'évaluation des trois phases de ce cycle met en perspective la situation actuelle : plus de deux rangs sur trois ne sont plus occupés et, en 1980, la Plaine de Montréal constitue la principale région à rangs du Québec.
MOTS CLÉS : Habitat aligné, rang, Québec méridional, colonisation, statistiques.
Abstract
Line Settlements in Rural Quebec : A Numerical Study
This study in historical geography, based on archival documents as well as maps and field surveys, deals with a major geographical phenomenon in Quebec : the line settlement (rang). Three aspects are considered : 1) the opening up of line settlements : 1 900 by 1835, 12 000 by 1950; 2) the actual settlement which follows a concave-convex curve during the early 20th century when a maximum of 6 700 inhabited line settlements is reached; 3) the closing down of line settlements. As a result of these three phases, more than two out of three line settlements are now unoccupied; by 1980, the Montreal plain represents the major line settlement region in the province of Quebec.
KEY WORDS : Line Settlement, range, Southern Quebec, colonization, data.
Même si l'habitat aligné — le rang — est très caractéristique du Québec, il est quand même loin d'être devenu un sujet privilégié de recherches; à plus forte raison, en fut-il ainsi de son aspect quantitatif car aucune étude ne semble lui avoir été consacrée. Contribuer à combler cette dernière lacune constitue notre présent objectif. Cette étude de géographie historique révèle à la fois une perception du territoire et la dynamique du Québec rural.
La notion de rang
La définition même du rang — considéré au seul champ de l'habitat rural — demeure une question ouverte. L'histoire de cette notion conduit à pas moins de 20 rubriques; elles mettent l'accent sur les constituants visibles du rang (lots, maisons, chemin, gens), les aspects culturels du terroir, les phases historiques, des abstractions ou des extensions de sens. Ici, seules nous intéressent les acceptions qui parlent de la forme territoriale du rang. Dans la tradition lexicographique, rang implique un rectangle spatial rempli de terres perpendiculairement disposées à un chemin au long duquel se trouvent une série de maisons. En langue technique, rang est un territoire arpenté de 5 à 25 km2, composé de lots allongés, contigus et habités, traversé par une voie de front bordée d'édifices alignés, non autonome au plan administratif, d'économie primaire, dénommé et identifiable culturellement. Les mots côte et concession peuvent être synonymes de rang.
Au sujet du phénomène, le continuum de la pensée à l'action laisse voir cinq phases possibles : les rangs rêvés (ceux qui étaient désirés par les ruralistes les plus militants et qui ont largement dépassé en nombre les rangées qui seront ouvertes), les rangs d'arpentage (rangées préparées en vue de l'occupation éventuelle des lieux), les rangs créés ou ouverts ou défrichés, les rangs occupés ou vifs ou persistants, enfin, les rangs fermés (vides d'habitants et d'exploitants; chemin de rang disparu). Les deux premières catégories ne font pas partie des rangs réels, ceux qui ont été ou sont encore inscrits dans le paysage physique et culturel du Québec. À cause des fermetures, les rangs présentement occupés sont moins nombreux que les rangs un jour défrichés. L'étude qui suit s'intéresse surtout à la valeur numérique des rangs occupés depuis le XVIIe siècle.
Sources et méthodes
Le statisticien est loin d'être au bout de ses peines car le seul bloc des rangs réels peut être vu de plus d'une façon. Ici aussi, les états apparaissent bien variables. Ils le sont par leur âge, bien sûr, mais aussi par leurs dimensions. Comme la longueur des rangées varie de quelques kilomètres à plus de 15, le chercheur devrait-il d'abord mettre au point un rang uniformisé qui n'existerait nulle part mais auquel chacune des entités disparates pourrait se comparer? En outre, les alignements ne sont pas également remplis de gens : certains sont à peine occupés, d'autres convenablement pleins en fonction des lots disponibles, d'autres surchargés démographiquement; à ce sujet, il faudrait établir à partir de quel nombre de fermes et de quelle distance inter-maisons on peut considérer l'habitat comme assez « rangique »1; le sous-état volumétrique constitue un problème permanent ayant commencé avec les premières installations dans la région de Québec vers 1630, et se posant encore maintenant mais à l'inverse par suite du dégarnissement progressif des rangées. Quand les données le permettront, des distinctions situationnelles seront présentées; autrement, il ne sera question que d'entités indifférenciées.
Exemples
L'Abitibi a connu des nombres différents d'alignements en fonction des concepts définis plus haut. À l'intérieur du grand rectangle délimité par les latitudes 48° et 49°30 et par les longitudes 77° et 79°30 (donc en dehors du Témiscamingue et du territoire de l'Abitibi), les peuplements désirés par les propagandistes équivalaient à 1 100 entités; le projet des « 250 à 300 paroisses » en aurait même donné de 1 500 à 1 800 (Hubert, 1929, p. 80). Les rangs préparés, au moins concernant l'arpentage, en ont touché 900 mais le total cumulatif des rangées ouvertes, réelles, n'a pas dépassé 400. Vers 1980, seulement 150 d'entre elles manifestaient une certaine vitalité; bref, les rangs vifs y étaient devenus moins nombreux que les rangs fermés. Chacune des régions périphériques du Québec a subi de semblables écarts. Au Saguenay, sur environ 650 rangées d'arpentage (relevé de 1929), les rangs d'habitat n'auront représenté que le tiers environ. La Gaspésie (à l'est du 67° de longitude) a vécu une situation équivalente : les rangs rêvés auraient pu s'établir à près de 1 000; au nombre des 550 rangs préparés, 250 ont été ouverts; environ 100 existent encore.
En outre, chaque cheminement conduit à des masses différentes. Prenons l'exemple des quantités possibles autour de 1830. Notre relevé cartologique — déjà interprétatif — avait identifié 1 056 rangées vives, en grande majorité localisées à l'intérieur des seigneuries. Comme le groupe de recherches en géographie historique de l'Université Laval l'a constaté quant au nombre de villages, le nombre de rangs aussi apparaît sous-représenté sur les cartes de Bouchette. Mais de combien? Les valeurs numériques de la population agricole — à évaluer en partie d'ailleurs — se présentent comme un premier moyen de compléter le sous-inventaire de l'arpenteur; en divisant le chiffre de la population agricole par un nombre moyen de personnes par rang, on arrive à 1 698 rangées. Un autre procédé d'estimation — la superficie totale des fermes divisée par la superficie pondérée d'une rangée — en produit 2 200. Chacun des autres indicateurs fournit des valeurs toujours différentes pour la même année; certains résultats doublent même celui venu du relevé des cartes. À la fin, nous avons opté pour un total de 1 600 rangs, compte tenu aussi de la pente générale de la courbe pour les périodes antérieures et postérieures. En aucune année, nous n'avons trouvé de forte proximité entre les résultats livrés par chacun des critères individuels considérés2.
Relevés et calculs
En pratique, le calcul du nombre ou des nombres d'entités a été fait de quatre façons. Premièrement, par la méthode directe qui consiste à les additionner un à un en parcourant le terrain; ce moyen n'a pu être pratiqué qu'à l'échelle paroissiale et en quelques régions dont l'Abitibi-Témiscamingue en 1967. Deuxièmement, par méthode indirecte, soit le comptage des rangées apparaissant dans les terriers, sur des cartes historiques (Bouchette), sur de nombreuses feuilles détachées (au 1 : 25 000 et 1 : 50 000) ou généralisées ainsi que sur des photos aériennes; de même, des documents par satellites font voir des familles de rangs; de tels outils sont irremplaçables afin d'évaluer les effectifs. Troisièmement, des calculs ont été faits à partir d'indicateurs ou critères (concession des seigneuries, fiefs, townships et cantons; superficie et nombre de fermes; quantité de lots par rangée; population agricole; paroisses, écoles de rang; voies de circulation); ces exercices fournissent des quantités rangiques plus approximatives que celles fournies par les sources précédentes. Enfin, le nombre de rangs créés n'a pu être évalué qu'à partir de laborieux calculs. C'est en recoupant ces multiples données que l'on peut arriver à des ensembles chiffrés peut-être vraisemblables.
Limites documentaires
Une autre inquiétude vient des variations des valeurs des indicateurs au cours des trois siècles étudiés; chaque témoin possède sa propre dynamique; par exemple, le nombre d'hectares par rang a varié du simple au double; ce critère doit donc être chronologiquement pondéré. Il en est de même du nombre de fermes du Québec dont l'un des facteurs de modification vient de changements dans les définitions lors des recensements officiels.
Une connaissance nuancée des facteurs choisis est également nécessaire. Quant aux aires campagnardes, les relevés du passé n'ont pas toujours distingué clairement la superficie concédée, la superficie totale des fermes, la superficie des boisés de ferme, la superficie occupée, la superficie cultivée et la superficie améliorée; au cours de l'évolution, les concepts sont devenus plus nets sans que les statistiques correspondantes ne deviennent plus sûres. Il faut rappeler que des cantons n'ont jamais été ouverts à la colonisation; il y en a peut-être eu 200 avant 19403. Pour cette raison entre autres, la quantité des rangs d'habitat demeure moindre que celle des rangs d'arpentage.
Même de bonnes sources ont leurs propres limites, comme l'indiquent trois exemples :
1) les cartes de Gédéon de Catalogne sont fondamentales dans le calcul du nombre de rangs habités au début du XVIIIe siècle4. Malheureusement, elles n'existent que pour deux des trois districts administratifs, la carte de Montréal demeurant introuvable;
2) pour 1860, nous avons la bonne fortune de nous appuyer sur des relevés soignés (Courville et al, 1988, de même que les fonds de cette publication mis à notre disposition); cette fois, la documentation n'avait été préparée que pour le District de Montréal; et enfin;
3) la photographie au 1 : 300 000, établie par la NASA à partir du vol de la navette spatiale en 1984, ne montre que la moitié des rangs du Québec et même des nuages couvrent les deux tiers de l'Abitibi.
Dans chaque cas et dans tous les autres similaires, nous avons dû compléter les données fournies en utilisant d'autres sources, ce qui amène une disparité dans les moyens de recherches et peut-être une autre imprécision dans les valeurs numériques totales.
Il ne semble pas exister de critère qui, employé seul, conduirait à une évaluation satisfaisante du nombre de rangs pour une année et, à plus forte raison, pour toutes les années. Même le comptage des entités rangiques sur carte possède des pièges; le rectangle dessiné ne renseigne pas toujours sur l'état agricole des lieux; parfois même, un rang fermé est encore représenté; la date d'impression de la carte ne donne pas l'heure exacte du terroir; de plus, les renseignements n'ont pas nécessairement le même âge, par exemple en ce qui concerne l'abandon des peuplements. Méthodologiquement, nous sommes d'avis que toutes les difficultés quantitatives ne pourront être aplanies que par l'organisation d'un fichier détaillé de chacun des types de rang (rêvé, arpenté, occupé, dénommé, abandonné, disparu, etc.) suivant leur durée, comme des chercheurs ont pu le faire en ce qui a trait aux seigneuries, paroisses et lots individuels.
Ces remarques conduisent à l'énoncé de deux des limites de ce premier inventaire des rangs du Québec. D'abord, le lecteur n'oubliant pas les difficultés d'établir les données les considérera non comme absolues mais comme acceptables. En second lieu, les calculs se présentent à l'échelle décennale, voire même séculaire; la courbe générale voile donc les cycles courts de même que les variations annuelles.
Évolution du nombre de rangs occupés
Le flottement des données n'interdit toutefois pas de rechercher des témoignages concernant le volume général des rangs qui ont été habités en même temps5.
Les données
Tableau 1
Rangées vives d'habitat au Québec méridional, 1625-1980*
Année
Nombre
Sources principales
1625
0
1640
3
Évaluation des embryons de rang habités à partir de la population et des cartes de Bourdon (1641 ). D'autres documents donnent 5 rangées.
1660
15
Évaluation moyenne à partir des concessions seigneuriales et du Terrier (Trudel, 1973).
1710
160
Comptage des rangées sur les cartes de Gédéon de Catalogne pour les régions de Québec et de Trois-Rivières; évaluation à partir de la population pour la région de Montréal.
1725
210
Comptage à partir des Aveux des seigneuries, surtout pour 1721-1725 (Archives nationales du Québec); évaluation à partir des documents Collet, 1721-1722 (Québec, 1853).
1740
345
Évaluation à partir des effectifs démographiques et d'un nombre pondéré de personnes par rang.
1755
520
Évaluation moyenne à partir de la répartition de la population rurale, du nombre possible de rangées par paroisse, du nombre de paroisses, du nombre de fermes, de la superficie occupée.
1815
1 200
Comptage sur la carte de Bouchette (1815); évaluation à partir du nombre de townships (Québec, 1982).
1830
1 600
Comptage sur la carte de Bouchette (1831 ) et à partir des statistiques de 1827 (Bouchette, 1832).
1840
2 100
Voir indicateurs de 1755.
1860
4 700
Relevé des rangs des seigneuries dans les Cadastres abrégés (Canada-Uni, 1863); évaluation des rangées dans les townships/cantons suivant les statistiques agricoles; 600 paroisses de colonisation
(Drapeau, 1863).1870
5 600
Calcul à partir de la population agricole, de l'accroissement considérable des cantons (1861-1870) et des statistiques agricoles.
1915
6 700
Évaluation moyenne à partir des statistiques agricoles de 1911 et 1921; émigration; fort accroissement des cantons (1903-1909).
1930
5 200
Voir indicateurs de 1755.
1945
5 500
Comptage sur cartes détaillées; évaluation du nombre de nouveaux rangs durant la Crise des années 1930 et du nombre de rangées fermées durant la Guerre.
1960
4 600
Voir indicateurs de 1755.
1980
3 700
Comptage des bons rangs d'après les Inventaires géographiques régionaux d'Hydro-Québec (1978- ) couvrant en partie le Québec méridional; évaluation des autres niveaux de rangs vifs; documents, NASA, 1984.
*Il s'agit uniquement de rangs habités (qui peuvent n'être pas complets). Valeurs arrondies.
Cinq phases
La quatrième phase est constituée par le deuxième mode canadien-français (1840-1940) qui sera le plus important de toute l'histoire rurale du Québec. C'est l'époque du principal développement d'une idéologie agriculturiste de même que celui du langage (toponymie, mots courants, littérature du terroir); jamais un plus grand nombre de personnes va se trouver dans des rangs et être en situation de « parler rang ». Ce peuplement maximal se fait en deux temps : durant les 30 premières années, le nombre des alignements occupés passe d'environ 2 000 à 6 000, soit une création moyenne de 120 entités par an. Le Québec laurentien constitue un immense chantier avec ses 600 paroisses de colonisation (Drapeau, 1863); le Saguenay présente un exemple régional. En fait, on ne fait pas qu'ouvrir des rangs; on remplit aussi ceux qui sont déjà ouverts (rangs d'arrière-fleuve). On force la transformation du range de township en rang de canton; la dernière formule deviendra presque unique au cours de la seconde moitié du XIXe siècle6. Le deuxième temps (1870-1940) montre une presque stabilisation numérique de la population agricole et des rangs occupés (autour de 6 000 entités). Il se produit donc un renversement dans la courbe à long terme qui passe de l'allure concave à l'allure convexe. Cette quasi-horizontalisation quantitative ne doit cependant pas tromper; la colonisation n'a pas cessé; elle va même reprendre de la vigueur au début du XXe siècle ainsi que durant la Crise; une telle évolution positive est attestée par la superficie des fermes, qui augmente de 63 %7. Mais puisque le nombre total de rangs occupés n'a à peu près pas augmenté, des milliers de rangs ont, dès cette époque, été abandonnés. L'émigration continue de faire ses ravages malgré la crise économique du dernier quart du XIXe siècle, période qui ne semble pas avoir fait mieux que d'assurer le maintien du nombre total de rangs occupés. Puis, jouera l'urbanisation dévorante. La quasi-équivalence des masses de rangs voile les modifications de leur contenu; par une forte minorité, les 6 000 rangs de 1940 ne sont pas ceux de 1870 car il s'est produit un déplacement des écoumènes rangiques; des régions ont perdu des rangées, d'autres en ont gagné. Un si fort changement territorial n'aurait pu se faire sans une aptitude mentale à la mobilité chez les individus eux-mêmes. Enfin, les nouveaux rangs sont presque également localisés dans la Plaine d'une part et les régions de bordure d'autre part.
* En s'en tenant aux seules formes des lots et des rangées, représentées sur la carte, on distingue en bas le rang d'arrière-fleuve, tout en haut, le range, et au centre droit, le rang de canton.
* Quotient de la différence du nombre de rangs d'une année-cible à l'autre par le nombre d'années.
Rangs créés et rangs cumulatifs
De nombreuses rangées ont vécu une évolution en deux temps :
Rangs créés, occupés et fermés, Québec 1625-1980
L'histoire des rangs occupés qui couvre presque quatre siècles comprend trois grandes périodes :
- de 1630/40 à 1870, la courbe montre une profonde concavité dont au début un long segment d'accroissement lent et à la fin un segment de forte augmentation; le phénomène de l'ouverture de rangées domine;
- durant trois quarts de siècle, le nombre général de rangs occupés oscille entre 5 000 et 7 000; la période est caractérisée par deux mouvements contradictoires (des ouvertures et des fermetures d'alignements d'habitat);
- depuis 1940, la dynamique négative l'emporte nettement, le stock rangique ayant diminué du tiers.
Ainsi, quant au nombre total de ces rangs, le Québec contemporain est revenu à la situation du début de la grande vague ruraliste du siècle précédent.
Ces rangées de peuplement sont désignées rang, côte, concession ou autrement.
Rapport entre le nombre total de personnes
et le nombre de rangs occupés au Québec, 1660-1980
Au XIXe siècle, un autre déplacement dans la répartition rangique s'est produit à partir de la Plaine laurentienne vers ses bordures vallonnées et même au-delà, au sud (Cantons-de-l'Est, arrière Estuaire, Gaspésie) comme au nord (Outaouais, Laurentides, Saguenay–Lac-Saint-Jean, Abitibi-Témiscamingue). À la fin des années 1930, la Plaine de Montréal et l'Estuaire (sud) composaient les deux principaux réservoirs de rangs au Québec. On notait aussi un phénomène de surcharge démographique dans les rangées de l'Est de la Province, dans les comtés de Gaspésie et de Charlevoix en particulier, la taille des familles rangiennes y étant forte. Au temps de la Seconde Guerre, les rangées des Appalaches et du Bouclier réunies équivalaient en nombre à celles de la Plaine du Saint-Laurent. Au Québec, environ deux rangs sur cinq se trouvaient dans le Pré Nord8. Depuis la Seconde Guerre, l'abandon de milliers de rangs dans les Appalaches et le Bouclier a augmenté l'importance de la Plaine du Saint-Laurent, en particulier la grande auréole agricole de Montréal dont le Richelieu et le Sud-Ouest. Domine donc non plus le rang de canton des périphéries mais le rang d'arrière-fleuve des Basses Terres laurentiennes.
Répartition procentuelle des rangs occupés dans les régions du Québec, vers 1980
L'auteur tient à remercier Jean-Claude Boulanger, Serge Courville, Louise Dion, Benoît Dumont, Jacques Mathieu et Yves Tessier.
1 Néologisme proposé, Québec, 1984. Adjectif de rang.
2 En ce qui concerne la carte de Bouchette, voici une remarque méthodologique. Ce résultat nécessite une lecture très attentive des cartes car, suivant un « examen détaillé », les « unités territoriales (rangs, côtes et concessions) sont délimitées par le même type de trait que pour les unités précédentes (seigneuries, cantons, fiefs et paroisses) et sont de ce fait difficilement repérables » (Boudreau, 1986, p. 46). Plutôt que de nous baser sur un signe exclusif, nous avons considéré un ensemble de symboles : forme des terroirs, chemin et route, habitation, école, autres indications de peuplement et toponyme.
3 Depuis 1940, plus de 700 cantons ont été proclamés; sur les 7 000 nouvelles rangées théoriques, très peu de dizaines ont été influencées par la colonisation.
4 Gédéon de Catalogne et J.-B. Decouagne, Carte du gouvernement de Québec... Carte du gouvernement de Trois-Rivières... Québec, 1709. Transcription P.-L. Morin (vers 1900); par A.-E.-B. Courchesne, 1923. Pour la région de Québec, voir la carte « historique » de G. Gallienne, Société de généalogie de Québec, 1974; reproduction par fac-similé et cahier de lecture par C. Paulette, Québec, Éd. officiel, 1976.
5 L'immense bibliographie sur le peuplement du Québec est utile dans l'interprétation de l'évolution numérique des rangs. Le cadre de cet article ne se prête pas à un inventaire complet. En ce qui concerne le Régime français, outre les travaux classiques de Marcel Trudel, voir Harris (1984).
6 Un rang de canton est aussi long qu'un range complet mais il comprend des lots dont la profondeur ressemble à celle du Régime français et dont la largeur tient à la fois aux lots du range ainsi qu'aux terres d'origine des anciennes seigneuries.
7 Cet accroissement doit également être interprété avec prudence; une partie des 11 millions d'acres en 1871 ne se retrouve plus dans les 18 millions de 1941, des abandons ayant déjà eu lieu; le 18 est une donnée momentanée, non une donnée cumulative. Réflexions sur les statistiques du Recensement du Canada, Ottawa.
8 Au plan agricole, zone qui touche en totalité ou en partie chacun des écoumènes régionaux du Québec, excepté les terroirs de Montréal et des Cantons-de-l'Est.
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(Acceptation définitive en décembre 1989)
Réalisation et photomécanique : Serge DUCHESNEAU