À propos du contenu

L'analyse notionnelle

Une notion correspond à une essence cognitive, départicularisée de son objet, mais renvoyant nécessairement à lui. Le mot, à la fois miroir et sentier de la notion, est un outil qui permet de parler des choses. L'entité lexicale, en tant que son et véhicule conceptuel, représente une flèche qui court de l'archer à l'objet visé; autrement dit, ce déplacement volontaire implique une désignance partant d'un désignateur en direction d'un désignataire. Il est rare que la flèche atteigne le centre de la cible; c'est pourquoi s'installent des confusions et discussions qui seraient en partie évitables.

Les travaux des prédécesseurs sont nécessaires. Il faut partir de F. de Saussure qui, au début du siècle, différenciait le signifié, ou concept, du signifiant, ou image acoustique. D'après d'autres auteurs, trois pôles seraient appropriés. Que cette structure de travail soit binaire ou tertiaire, le chercheur doit s'intéresser à la dénivellation presque congénitale entre ce que le locuteur a l'intention d'exprimer, ce que le destinataire peut normalement s'attendre de recevoir et ce que l'entité livre réellement. Si l'on dit Innu, l'interlocuteur doit comprendre « Indien » et non pas le mot phonétiquement voisin « Inuit ». Dans une situation parfaite, il y a correspondance entre le message émis, le message attendu et le message compris; on pourrait alors parler de synonymie « interne ». Dans les répertoires, des niveaux d'écart sont reconnus : a) le mot batture donne l'exemple d'un déficit de signification; b) à l'inverse, la locution terres stériles montre un surplus de sens.

Afin de faciliter la compréhension des mots et de réduire la distance entre l'énoncé d'intention et l'énoncé reçu, la présente analyse terminologique hausse à sept le nombre de sites d'ancrage et considère ces derniers d'une façon reliée. La démarche fait appel au « polygone désignatif » présenté dans la section Vocabulaire métalinguistique.

Traits du contenu

Il faut parler d'un « Québec total » qui comprend, outre le Québec usuel du Sud, le Québec du Nord. Cette entièreté spatiale donne au présent répertoire un aspect plutôt unique.

Deux objectifs sont poursuivis. Le premier, de tradition lexicologique, rassemble des entités existantes et s'interroge sur la cohérence du corpus. Le second, relevant plutôt de la terminologie, s'intéresse à l'approfondissement d'un grand nombre de notions et à leur évaluation au plan d'une pertinence québécoise.

La démarche se rapporte surtout à la langue commune et, à l'occasion, à des langues de spécialité. Les phénomènes à appréhender, liés au double plan matériel et culturel, sont rendus par des séries de mots, termes et toponymes.

La première partie du texte sera consacrée à une brève monographie de quatre thèmes fondamentaux, à savoir Nord, hiver, glaciel (pour « glaces flottantes ») et Autochtone. Suivront environ 1400 articles, eux-mêmes suivis de plusieurs notes, le tout relevant d'un corpus de plus de 3000 entités identifiées.


Aspects lexicologiques

Afin de fournir au lecteur quelques vues d'ensemble du vocabulaire « froid » du Québec, voici quatre petites monographies.

Les sens de nord et de ses dérivés nordique et nordicité

Nordicité prend sa source dans nordique et, en définitive, dans nord. Ce tronc de base est préféré à ceux plus ou moins équivalents et concurrents de septentrional, boréal, polaire, arctique et zone froide. Il faut donc justifier la souche choisie.

Nord

D'une façon inattendue, le Sud même du pays aide à découvrir la notion du Nord lointain. Au cours des années trente, d'après des écrivains européens, les Laurentides du Québec méridional « sont déjà le Nord », opinion qui reflète d'ailleurs celle de penseurs québécois. Pour sa part, le géographe Raoul Blanchard de Grenoble, parlant des extrêmes de froid en Mauricie, constate « qu'il existe donc un Nord ». À Saint-Barthélemy de Berthier, on atteint le « rang du Nord » en se dirigeant franc sud, à partir du village; on peut comprendre l'anomalie cardinale de cette appellation en sachant qu'elle répond à un référent externe au territoire paroissial, à savoir, la façade septentrionale du Saint-Laurent. D'autres « Nords » ne sont pas mieux logés en rapport aux hautes latitudes; ainsi, l'écoumène colonisé par le curé Antoine Labelle de même que Le train du Nord (chanson) représentent des espaces peu éloignés du Montréal urbain. De même, de célèbres peintres ontariens trouvent déjà The North aux lacs laurentiens Huron et Supérieur.

Dépasser cette conception « sudiste » du Nord pour en arriver à l'idée d'un vrai Nord composera des objectifs de recherche de fond et d'expression. À la fin, une meilleure correspondance devrait être établie entre l'usage d'un mot et une notion logiquement entendue.

Au plan international, nord est un signe qui voyage beaucoup au cours des siècles. D'après une vue planétaire et millénaire des choses, le terme s'étend suivant deux principaux axes, déphasés et perpendiculaires. L'un, sud-nord (et nord-sud), entre les mondes méditerranéen et scandinave, se développe durant l'Antiquité. D'anciennes migrations expliquent que les principaux utilisateurs mondiaux de la lexie nord viennent des langues romanes ou germaniques. Mais, en Europe, la région climatique la plus sévère de ce courant langagier « vertical » n'atteint qu'un niveau moyen de polaricité, celui de pays tempérés froids; l'Islande, malgré le sens de la première partie du choronyme, en offre un exemple.

À partir de la Renaissance, le second axe du vocabulaire nordique va se développer, celui d'une direction est-ouest (et ouest-est), quart au nord, s'étirant à la fois de l'Europe vers l'Asie et de l'Europe vers l'Amérique. Le mot nord envahit des espaces froids imprévus, et le chemin parcouru est considérable. C'est ainsi qu'un Nordrseta normand s'amène au Labrador, et qu'un Nordvik scandinave atteint la Sibérie arctique de l'Est. Ce cheminement devient plus continental qu'il ne demeure côtier; alors, un Northwest britannique se retrouve au lointain Mackenzie. Même si la substance nordique de l'axe trans-longitudinal est plus élevée que celle de l'axe trans-latitudinal précédent, le vocabulaire restera comme limité par les sens imprécis et faiblement nordiciste des expressions initiales. En conséquence, il demeurera difficile de décrire des régions canadiennes et russes possédant des états boréaux aigus et zonés en utilisant simplement des termes et des concepts établis pour rendre compte d'une polaricité européenne basse et de faible amplitude. Les outils de la pensée atteignent même des régions très éloignées, tel l'Extrême Nord, pour lesquelles ils n'avaient pas été du tout conçus. Cette inadaptation congénitale du vocabulaire conduit à de mauvais entendements des choses arctiques, notamment chez les développeurs et le grand public.

Nord s'est donc chargé d'une double dimension spatiale, d'abord zonale (nord/sud) puis circumterrestre (est/ouest).

Nordique

Cet adjectif dérive de la racine précédente. Le bâti français date seulement du XIXe siècle (Le Robert). Depuis, nordique connaît trois périodes : la première touche une partie peu étendue du continent européen, la deuxième fait le tour du monde alors que la troisième, par extension, ne concerne que les territoires spécifiques de la saison d'hiver, c'est-à-dire les hivernies.

a) Le déterminatif renvoie uniquement à « scandinave », en référence aux péninsules sises au nord de l'Europe, dit Norden, Finno-Scandie ou, suivant un énoncé incomplet mais usuel, Scandinavie. Les dictionnaires de la langue standard ne consacrent pas toujours à nordique une entrée spécifique. Quoi qu'il en soit, les principaux thèmes représentés sont : « langues » et « littératures », sens premiers auxquels s'ajouteront ceux de « pays » et « habitants ». Le mot européen avait plutôt un sens ethnologique. Ces restrictions de spécificité et d'espace défavorisent l'application de nordique au Canada même; le mot n'y exprimait qu'une vague localisation cardinale; était « nordique » une chose qui se trouvait simplement au nord d'une autre.

b) La décennie cinquante voit un agrandissement de la signification spatiale et thématique du mot; ce dernier va tendre à rendre tous les faits de toutes les régions froides de l'hémisphère boréal; devient nordique ce qui est « Nord » en soi, et dans tous ses traits. Cette évolution sémantique profonde illustre la collaboration spécifique du Québec. À la dimension antérieurement unique d'euronordique, s'ajoute une dimension circumnordique. En utilisant les critères définitoires (voir plus bas), il devient possible d'évaluer combien « nordiques » sont, individuellement, tous les pays du Nord. L'exercice fait découvrir que des espaces comme le Canada, qui, aux dictionnaires, n'avaient pas accès à tout le sens de nordique, possèdent plus de degrés de Nord zonal que la Norvège, la Suède, la Finlande et l'Islande, contrées qui, hier encore, étaient les seules à « avoir droit » au qualificatif. Le mot devient donc pertinent à des territoires autres qu'européens. Le Canada domestique le mot. En décembre l960, c'est la nouvelle acception qui entre dans le titre d'un centre québécois de recherches dans les hautes latitudes. L'usage de ce nouveau nordique se répand fort au Québec. Les désignations européennes ne disparaissent pas pour autant; comme avant, on dit Pays nordiques, langues nordiques et ski nordique, en référence à des situations d'origine finno-scandinave.

c) En Amérique du Nord, le mot nordique se dit des pays tempérés froids, c'est-à-dire de l'écoumène au sud du Nord proprement dit; aussi le trouve-t-on dans la vallée du Saint-Laurent et même aux États-Unis par l'intermédiaire de la langue du hockey. C'est le nordique saisonnier.

Clairement, il s'est produit une promotion territoriale et thématique de nordique. Grouper les sens b) et c) fait apparaître tout le Québec comme espace nordique.

Nordicité

Ce néologisme, provignement de nordique, fait référence à l'état du vivre dans les contrées à neige hivernante. Déjà, en l969, Le Monde de Paris l'emploie. En anglais nord-américain, la lettre d de nordic permet l'apparition de nordicity, mot plus accessible et plus extensif que le northernness britannique.

Dès son origine, le concept est disponible dans trois champs complémentaires. Les deux premiers, consacrés à la caractérisation du territoire, sont dénommés nordicité des lieux et nordicité zonale; le troisième créneau exprime des états psychologiques et répond ainsi à la nordicité mentale. S'ajoutent d'autres domaines : deux s'intéressent à des états chronologiques, la nordicité saisonnière et la nordicité séculaire. Enfin, la nordicité orographique considère l'accentuation ponctuelle que l'altitude impose à l'état de Nord, comme l'indique l'exemple des Laurentides. La géographie globale est utile dans l'appréhension de ces six nordicités thématiques (voir les articles plus loin).

Au cours des années 1980, l'entrée de nordicité dans les outils de la langue courante (Grand Robert et Petit Larousse) a favorisé la diffusion du mot. Des locuteurs l'emploient pour décrire des situations nettement polaires ou seulement hiverniennes. L'entité pénètre dans les langages du sport, du vêtement, de la littérature, du journalisme, du tourisme, du transport, de la construction et du commerce; il apparaît dans les mots croisés, la caricature et la vidéophonie. Le tronc même de nordicité se retrouve dans un corpus de plus de 160 expressions dont la liste est fournie dans une note. Récemment, le Canadian Oxford accueille l'anglonyme nordicity comme « canadianism ». En 1999 se déroule un premier Sommet mondial de la Nordicité . Et les usagers continuent à apprivoiser le mot.

Les traits distinctifs du nyme hiver

L'expression pourrait induire en erreur, car les référents se rapportent non à tous ceux du phénomène hivernien, mais seulement à ceux que le lexicologue retient généralement pour bâtir sa définition. Or, il n'existe pas d'équivalence automatique entre ces deux groupes de caractères; le nombre total de critères spécifiant le fait de l'hiver peut atteindre la quinzaine, mais seulement cinq d'entre eux se retrouvent usuellement dans la pensée des articles propres d'hiver et d'hiverner.

La neige

Des relevés perceptuels font de ce matériau le facteur dominant de l'hiver. Mais la notion comporte une grande ambiguïté, car il peut s'agir des chutes qui occupent une faible proportion de la période froide ou du manteau qui, lui, persiste au sol durant des mois. Dans les définitions, les dimensions accumulatrice et horizontale du tapis résiduel l'emportent de beaucoup sur les dimensions temporaire et verticale des précipitations solides.

La neige change profondément le pays quant à la luminosité, l'acoustique, la radiation et les activités humaines. Aux peintres, elle fournit des sujets et un éventail de couleurs douces; Bruegel l'Ancien représentait des scènes européennes d'hiver. Aux écrivains, elle offre une autre « dimension territoriale ». Le thème « neige » porte donc une immense signification culturelle chez plusieurs peuples.

Une « saison »

Cette notion correspond fondamentalement à une durée, non à un mécanisme météorologique. Ici, aussi, le traitement lexicographique n'évite pas les imprécisions et les abstentions. Au tout début, saison référait à la période du travail agricole, c'est-à-dire, dans l'hémisphère boréal, à un moment totalement inverse aux temps hivernaux décembre-mars. En principe, le mot devrait comprendre strictement trois mois; or, dans les pays froids, cette durée est trop longue pour la zone des hivers bénins de la zone tempérée, mais trop courte pour les hivers du Canada et de la Russie qui « n'en finissent plus ». La notion rend également mal les manifestations instantanées et catastrophiques de l'hiver méditerranéen. De son côté, le référent astronomique ne rachète guère l'aspect « saison »; considérant l'effet du soleil sur l'éclairage des jours, ne faire commencer l'hiver que le 2l décembre décentre l'espace hivernal.

Le froid

Voilà le trait essentiel qui fait définir l'hiver, « saison froide ». Les températures au-dessous de 0o C, en plus de rendre « blanches » les précipitations, produisent l'engel de tout : eau, autres liquides, matériaux humides, aliments, matières ligneuses, peau. Au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, la lecture du thermomètre conforte la rigueur attendue dans les rubriques lexicographiques de l'hiver. Conformément, l'interrogation la plus fréquente que les voyageurs polaires reçoivent à leur retour de mission concerne le degré vécu de froidure, ce qui correspond presque à un questionnement préjugé.

Les nouvelles conceptions qui touchent le refroidissement éolien, la compensation calorifique, la contre-déperdition de chaleur, la pratique du plein air hivernal, les sports et les télécommunications n'ont pas encore eu de répercussions profondes dans la lexicographie du mot hiver.

Le déplacement des êtres

En ce qui concerne l'application du concept de l'hiver aux vivants, les lexicologues privilégient « l'homme qui part » par rapport à « l'homme qui demeure chez lui ». Hivernant (au sens de Winter Visitor ou To Winter In Italy) de même que l'énoncé « aller passer l'hiver au Maroc » en fournissent des exemples. La chanson de Robert Charlebois Demain l'hiver exprime aussi l'attrait vers le Sud. Ainsi, on invite le résident des pays froids à presque devenir un glorieux déserteur! On pourrait en dire autant des vacanciers Tabarnacos du Petit-Québec vers le golfe du Mexique. C'est la fuite aux Tropiques qui offre au nordiste de résidence sa meilleure chance de correspondre à l'article des dictionnaires; ceux-ci n'invitent donc pas les gens à prendre leurs loisirs dans leur propre milieu. Or, au Québec, les migrants vers les basses latitudes ne composent qu'une minorité de la population totale; en outre, beaucoup de villégiateurs ne s'absentent que durant une ou deux semaines. En conséquence, les jours que les vacanciers vont passer dans les Tropiques ne correspondent qu'à un faible pourcentage du temps d'hiver de l'ensemble des habitants.

La majorité des citoyens qui demeurent sur place n'ont guère accès au substantif dictionnairique d'hivernant; pourtant, par leur fidèle attitude, ils devraient raisonnablement en porter le titre; il serait même logique qu'ils soient les seuls à pouvoir s'en prévaloir! Lexicalement parlant, entre décembre et avril, le parfait « hivernant » laurentien se doit donc de s'éloigner de son principal lieu de résidence et le plus longtemps possible. A-t-on au moins conscience du paradoxe de la parole?

La conception de la vie

L'un des concepts d'hiverner exprime un « arrêt » ou un contre-mouvement dans les activités humaines et économiques de l'année. Y source peut-être la coupure excessive entre un état hivernal réaliste et toutes les inadaptations hivernistes. La dépréciation saisonnière conduit au repli, à la vieillesse et à la mort, ce qui rappelle l'image de Saturne chez les Anciens. Une interprétation restrictive anime une grande partie du vocabulaire traditionnel de l'hiver, qu'il soit lexicalisé ou non. Une idéologie d'inclémence teinte presque en entier l'espace du mot au dictionnaire.

Heureusement, ce complexe de « petite vie » n'est pas celui de millions de gens qui s'activent autant et même davantage en période froide qu'en d'autres moments. En fait, l'hiver n'est pas plus une « saison morte » que les Terres Arctiques ne sont « stériles », suivant une autre exagération du langage, inconsciemment entretenue, par les résidents de la zone tempérée, en particulier.


Le choix et l'analyse des traits du mot hiver soulèvent donc des questions. L'une des idées générales exprime de grandes restrictions; les animaux occupent beaucoup d'espace; parmi les hommes, « hivernent » surtout les marins, les militaires et les vacanciers du lointain; en fait, le contenu le plus courant de l'entité tourne le dos aux groupes les plus nombreux de la population résidante. Lexicographiquement, sont peu présents des champs importants dans le domaine de la nature - soleil, glace, effets du vent - et dans la sphère humaine - habitat, santé, initiative. Cette évaluation conduit à penser que, dans le mot hiver, le « désigné » a mal rejoint le « désignandum ».

Aussi, une nouvelle définition de ce moment annuel, caractéristique et récurrent, sera-t-elle proposée. Quelques néologismes de forme et de sens accompagnent cette façon plus ouverte de concevoir l'hiver (voir les articles du corpus, plus loin). La période, en plus d'être une saison, occupe un territoire, engage la raison, provoque des émotions et sert de symbole. En 1993, dans une revue parisienne, nous osions écrire : « un vrai hivernant hiverne, sans le traumatisme de l'hivernitude, même durant la phase du plein hiver, tout en demeurant dans son hivernie nationale; il fait alors la démonstration que l'hivernité peut être vécue normalement ».

Tableau 2 : Comparaison transzonale du Nord et de l'hivernie, Amérique du Nord à partir de l'Océan Arctique jusqu'au Tropique.

Climat Appellation,

espaces Nord

Appellation,

espaces hiver

lieu
polaire Extrême Nord hyperhivernie Isachsen
arctique Grand Nord mégahivernie Iqaluit
subarctique Moyen Nord hémihivernie Fairbanks
tempéré froid Pré Nord hivernie principale Rivière-de-la-Paix, Alberta/Colombie Britannique
Toronto
Boston
tempéré chaud (sans objet) infrahivernie Washington, District of Columbia
franges subtropicales (sans objet) hivernie dielle Miami

Essai d'harmonisation des désignations des zones nordiques et hiverniennes autour du globe. Choix des préfixes de manière à exprimer une décroissance de sévérité à partir du Pôle - où le niveau est maximal - jusqu'aux moyennes latitudes dans le cas du Nord et jusqu'aux basses latitudes dans le cas de l'hiver; on passe ainsi de l'Extrême Nord au Pré Nord, d'un côté, de l'hyperhivernie à l'hivernie dielle, de l'autre. Le concept d'hivernie principale s'applique au territoire situé entre les zones froides très peu habitées et les zones chaudes fortement peuplées; cette aire intermédiaire rassemble le plus grand nombre d'hivernants au sens strict.

Glaciel pour « glaces flottantes »

Glaciel, adjectif et substantif, apparaît à Québec à la fin de la déçennie 1950.

Importance historique des glaces flottantes

Le Canada enregistre de très nombreux faits naturels et humains se rapportant aux glaces flottantes. Quelques-uns d'entre eux concernent le Saint-Laurent dont le rôle linguistique ne s'est pas limité à consacrer la définition de fleuve (« cours d'eau se jetant dans la mer », suivant l'itinéraire à rebours de Jacques Cartier en l534). En saison froide, le glaciel ferme temporairement le pays, et les écrits de Rabelais en portent résonnance. Comme un personnage, les « glaces du fleuve » (Lahontan, l684) entrent dans les mentalités. Devant Québec et Montréal, la parade des glaçons accompagne plusieurs événements militaires de la colonie. En 1879, près de Trois-Rivières, se produit le miraculeux « Pont des chapelets ». Depuis le XIXe siècle, se développent moult connaissances glaciologiques. Enfin, Le Parler populaire du Québec (l980) comprend environ l50 expressions traitant du sujet. Comme la neige, les glaces saisonnières constituent donc un élément indiscutable de la québécité tant historique que contemporaine.

Les relevés du langage glaciel comportent cependant de nombreuses faiblesses : phénomènes connus mais parfois non désignés, inorganisation de l'ensemble du vocabulaire, polysémie et chevauchement notionnel, séparation peu logique de champs de connaissances, volet naturel sur-développé par rapport au volet humain. Par ailleurs, des équivalents peuvent encombrer le vocabulaire; ainsi, pour rendre slush, il existe plusieurs dizaines de mots en français seulement, dont sloche. Songeons enfin que les glaces flottantes ne « flottent » pas toujours et ne viennent pas exclusivement de la congélation des eaux locales.

Le Québec n'est pas le seul territoire à s'intéresser aux glaces flottantes. En Europe, des études sur les embâcles printaniers d'une part, des oeuvres littéraires et artistiques d'autre part, rappellent l'importance du thème. Suite aux récits des explorateurs polaires, des cartographes représentent en 1539 des glaçons et des champs de glace se chevauchant sur les mers froides. Au XXe siècle, l'Organisation internationale de surveillance des icebergs atlantiques, suite au désastre du Titanic, apporte des descriptions précises de même que la conscience des dangers. Durant la guerre froide, la politique est en cause par la grande dérive circulaire des îles de glace dans l'océan Arctique, des courants amenant des stations soviétiques face à l'Alaska. Le nouveau droit international de la mer devra comporter un référent obligé, celui du glacement prolongé des eaux arctiques construisant une Terra glacia. En Antarctique, des chercheurs russes, français, britanniques, belges, états-uniens et autres ont établi des vocabulaires consacrés aux glaces situées à la périphérie de la calotte; ces apports lointains sont utiles ici.

L'entité lexicale glaciel

Au cours de la décennie 1950 naît l'objectif d'identifier un signe non composé pour remplacer l'expression incommode et peu provignable de glaces flottantes. Nulle part ne semblait exister un générique simple décrivant l'ensemble du sujet. Il était souhaitable de créer une entité monosémique, sans accent, englobant tous les aspects du phénomène sous toutes latitudes, utilisable par les disciplines concernées.

Le recours au latin permet de forger le support formel d'un concept connu. Glacialis avait déjà donné glacial pour « température froide » et, en anglais,glacial pour « glaciaire ». À partir de la base voisine de glacies/iei, arrive glaciel, une adaptation bien française qui n'avait jamais été imaginée. Le grammairien Alain Guillermou considère le nouvel apport « joli et expressif ».

Le glaciel se rapporte à « l'ensemble des états, processus et effets des glaces flottantes ». Les principaux domaines touchés sont les types de glace, l'apport associé de la neige, le débit des eaux portantes, les sédiments et le relief (tant côtier que profond), le transport fluvio-maritime, les genres de vie, le droit de la mer ainsi que le vocabulaire proprement dit.

Glaciel et glacielle commencent leurs carrières comme adjectif et substantif; cette dernière fonction force les habitudes du français, comme l'indique, en situation comparable, l'emploi de nival.

L'anglais utilise des expressions équivalentes, mais plutôt chargées, comme ice floating on water, floating ice system, river, lake and sea ice, même drift ice, et parfois glaciel. Cette langue comprend déjà une quinzaine d'entrées issues de glacialis ou de glacies.

Une histoire du cheminement du mot, du terme et du toponyme glaciel rassemble trois séries d'années.

a) l952-1965. Cette période est initiatrice à partir de travaux sur la Basse Côte-Nord, en Beauce ainsi qu'à la Pointe-du-Platon dans Lotbinière. En l959, dans un dictionnaire des glaces flottantes comprenant 363 entrées, glaciel occupe une rubrique autonome et entre dans la qualification de plus de trente phénomènes, dont bloc glaciel et cycle glaciel; cet apport déjà substantiel fournit aux lexicologues des « contextes de fondation ». En même temps se trouve favorisé le développement d'un champ plutôt nouveau de recherches qui deviendra un chapitre additionnel des études périglaciaires. Peu d'années plus tard, le mot glaciel est employé par une documentaliste de Paris ainsi que par des Québécois.

b) l966-l976. Le géographe Jean-Claude Dionne va devenir le principal personnage du secteur géomorphologique du domaine. Il présente une thèse à Paris, publie des bibliographies rétrospectives de même qu'un vocabulaire éclectique. Le congrès international, proprement intitulé Le Glaciel, qu'il organise à Québec en l974, fait naître sur le sujet une publication majeure.

c) Depuis l977. L'intérêt à l'endroit du glaciel grandit à bon rythme. De plus en plus de chercheurs et d'écrivains de quelques pays se privent de moins en moins de la nouvelle entité. Les terminologues peuvent recueillir des citations, cette fois hors du Québec.

Le néologisme atteint diverses branches du savoir. En 1960, glaciel apparaît en cartographie. Puis, le mot entre dans des ouvrages d'art et de poésie, dans des documents universitaires et des manuels scientifiques. On le retrouve aussi dans des programmes médiatiques et des textes de presse. Des dictionnaires, petits et grands, de langue courante ou de spécialité, du Québec et de l'Hexagone, le recueillent. Il exerce même la fonction de nom propre comme spécifique d'objet ou comme toponyme officiel. Quelques langues étrangères l'adoptent, l'adaptent ou le traduisent.

D'abord logé dans le corps des textes, il connaît une promotion d'usage au niveau des titres eux-mêmes : paragraphe en l96l, communication scientifique cinq ans plus tard, article en l969, thèse de doctorat l'année suivante, dictionnaire en 1972, puis ouvrage de poésie et colloque international.

Servant de tronc à un déploiement vocabulairique fonctionnel, il se retrouve maintenant dans deux cents expressions, dont cycle glaciel (période annuelle s'étendant du début de l'englacement automnal jusqu'à la fin du déglacement printanier). Par contre, son corpus demeure sous-développé en certains domaines, dont celui de la navigation.


Glaciel en tant que désignant et désigné occupe plusieurs niveaux de langage. Il contribue à l'avancement de la langue française courante et scientifique. La facilitation des connaissances ainsi que l'apparition d'entités provignées livreront des documents originaux à l'historiographie d'un domaine très caractéristique des pays froids.

Le mot autochtone

Substanstif et adjectif, autochtone dérive du grec dont le formant principal renvoie à « terre », horizon sémantique bien à propos. La forme française arrive vers l560, peu après les premières colonisations aux Amériques.

Autochtone ne constitue pas la seule appellation générique pour décrire les peuples habitant le Canada au moment des Découvertes ou après. Ont été ou sont également employés aborigène, Américain naturel, Amérindien, animal à deux pieds, arriéré, autre, barbare, Canadois, cannibale, ces peuples, ceux-qui-étaient-déjà-là, gens des bois, groupes retardataires, habitant, hors-la-loi, Hyperboréen, Indien d'Amérique, Indigène, infidèle, Les Nations, minorité, natif, nation ambulante, nation fixe, naturel, noble sauvage, non-Blanc, non civilisé, originaire, païen, Peau-Rouge, petits peuples (à la manière de l'ex-URSS), peuple antérieur, peuple autochtone, peuple prédécesseur (par rapport aux deux peuples « fondateurs »), Peuples premiers, pommes rouges (Apple Indians), premiers Américains, primitif, race américaine au teint cuivré (Gaultier, l837), race Rouge, Red Indian, Red Power, (les) sans Foi-sans lois-sans roi (Rémi Savard), sauvage, Skraeling (au temps des Vikings), Sylvicolarum (ceux de la forêt), vagabond, Villa americaner. Tous ces termes plus ou moins équivalents dans leur mépris expriment la difficulté millénaire des « Blancs » à percevoir l'Indigène. Suite aux Conférences constitutionnelles (Ottawa, 1983-1987), la fréquence du mot autochtone s'élève, tendance dont on tient compte ici.

En outre existent des désignants de « groupes » auxquels on donne parfois des sens plus étendus, comme Premières Nations (Indiens des Traités ou Indiens inscrits), résidants des Réserves et Membres des Bandes; Innus au Québec-Labrador; Dénés ou Dènès au Mackenzie; Métis ou Bois-Brûlés; Indiens non inscrits, Indiens hors Réserves; Inuits, Esquimaux ou Nunavimmiut.

L'un des traits distinctifs d'Autochtone, à savoir « individu ne venant pas d'ailleurs », ne peut être entendu qu'en fonction d'une référence fixée dans le temps; en Amérique, on pense alors à l'âge des Découvertes. Mais, en l943, pour l'anthropologue Paul Rivet, « l'homme américain [l'Indien] n'est pas un autochtone »; en fait, l'auteur dit en même temps que les Francs, même les Celtes, n'en sont pas non plus. Dans cette optique, en remontant dans l'histoire, il n'y aurait plus qu'Adam et Ève qui pourraient prétendre au qualificatif d'Autochtones, et encore! Une telle exclusion rendrait la notion inutile et appauvrirait l'histoire de bien des peuples.

Au Canada, le concept d'« Autochtone » comprend deux niveaux chronologiques : l'un, historique, s'applique aux personnes mêmes qui y étaient déjà quand l'Européen s'amène. Le second niveau, contemporain, correspond aux descendants des premiers; maintenant, forts d'environ deux millions d'individus (avec les Métis), ils habitent surtout le Sud du pays. Le terme officiel de Premières Nations ne touche directement qu'une partie de ce nombre.

Bien d'autres critères comme l'identité ethnique, les langues, les modes de transmission du savoir, les manifestations culturelles courantes ainsi que les attitudes complexes modernisées sont également utilisés dans la définition de l'Autochtone. Sans doute comptent les activités à l'ancienne; pour Arkadi Tcherkasov, en Sibérie septentrionale, ne sont autochtones que les peuples « vivant des territoires » (alimentation dominante par chasse et pêche). Les liens profonds que les premiers habitants ne cessent d'entretenir avec la « terre » entraînent soit des rapports originaux de production et de répartition traditionnelle des biens, soit une « vision spécifique du monde », soit des revendications prioritaires. Dans le vrai Nord, le caractère historique mais actualisé des Autochtones s'oppose donc au faciès indéfini des travailleurs extérieurs, venus temporairement oeuvrer dans les grands chantiers et les services. Entre les deux groupes demeure donc la distance mentale classique d'être du Nord ou seulement d'y séjourner.

Par ailleurs, à l'intérieur d'un même pays, les traits d'antériorité [par rapport aux Découvertes], de territoire identifiant et de non-rupture des pensées ancestrales contribuent à distinguer les Autochtones des ethnies minoritaires ghettoïsées dans les villes.

Enfin se produisent des poussées vocabulairiques à partir d'autochtone. D'après l'Oxford Dictionary, le dérivé autochthonism date de 1857. Autchtonisme et autochtoniste sont entrés en géologie vers 1880. L'entité lexicale profitera d'un transfert de concepts et d'affixes issus d'autres nymes de base un temps utilisés, comme américanisme, amérindien, indien, indigène, nordicité. À la fin apparaissent, entre autres provignements, autochtonie (espace), autochtonien (comme adjectif général), autochtonisme (système de pensée et d'action), autochtoniste (adjectif du précédent), autochtonité (le fait de, l'état de, la conscience de) et autochtonyme (entité lexicale, toponymique ou non, reflétant les cultures aborigènes). Si, depuis un siècle, la modernisation de ce vocabulaire se fait lentement, l'accélération discursive et les significations récentes profitent de la décolonisation et des critiques post-modernistes mondiales au sujet de l'environnement et du développement. On tend à mieux distinguer qu'auparavant, pour une même matière, les initiatives venant des Autochtones eux-mêmes de celles construites pour ces derniers par les non-Autochtones. Bref, la nomenclature est à la fois indice et agent de cultures conjointes en devenir.


Même réduites à quatre, ces monographies donnent un aperçu de la présente démarche notionnelle. D'autres exemples d'analyse sont fournis par le déploiement de certains articles, tels ceux de batture, chemin, Côte-Nord, érable, glace, glisse, iglou, neige, Noël, pont, portage, Québec, raquette, région, Saint-Laurent [fleuve], ski, sports d'hiver et terre.