Poésie

Les Du Rang

par

Louis-Edmond Hamelin

professeur émérite de géographie
Université Laval, Sainte-Foy (Québec), G1K 7P4

(Texte tiré des Écrits du Canada français, Montréal, 62, 1988, pages 123-156)

À Clément Marchand,
écrivain et éditeur

Au plan de la langue commune, rang constitue une entité ancienne plongeant ses racines dans l'allemand et le francique hring. Des contextes pré-français, sous forme rin et dans l'acception spécifique d'un habitat aligné à la bordure de la forêt, datent des XIVe et XVe siècles; ces faits situent le mot en ce sens par rapport à sa future aventure nord-américaine. En outre, la chose, sous d'autres vocables, était connue dans divers pays, tels les Pays-Bas et la Pologne.

C'est ce type d'habitat aligné qui débarquera à Québec avec les colonisateurs. Dès 1664, alors que le nombre total des rangées de lots était encore très faible, les Jésuites se vanteront de leurs « trois rangs d'habitations », à Sillery. De 1850 à 1950, une québécisation intensive de la chose et du mot se fera dans la Plaine du Saint-Laurent et ses bordures. Après 1950, les transformations rurales vont commander des diminutions d'emploi de rang ainsi que des réaménagements dans les familles lexicale et sémantique du mot.

Rang d'habitat, nom masculin, s'emploie en langue courante, dans la littérature et les arts, en langues de spécialité et en toponymie. Un dictionnaire de langue présenterait quatre sens :

  1. [un rang] Écoumène rectangulaire comprenant une série de lots agricoles allongés et dont les résidences sont alignées le long d'un chemin de front.
    Un rang de rivière.
  2. [le rang] Ensemble de la population vivant dans une telle rangée.
    Le rang se rendait à la messe.
  3. [rang] Lieu-dit d'un individu à déprécier.
    Pas étonnant, il sort d'un rang!
  4. [les rangs] Totalité des établissements alignés, dans un territoire donné.
    Les rangs de la paroisse de Sainte-Anne, au-delà de l'agglomération villageoise.

Note encyclopédique : le mot a de nombreux synonymes dont côte et concession, mais toutes les côtes et concessions n'équivalent pas à des rangs. Une route ou une montée (en principe, sans résidences) réunit perpendiculairement des chemins de rang. Il ne faut pas confondre rang et chemin de rang.

Curieusement, le phénomène « rang », si fondamental dans l'histoire culturelle du Québec, a peu inspiré les auteurs, même ceux du terroir; c'est du moins le cas à propos des titres des ouvrages, si l'on excepte l’expression école de rang. Dans les œuvres où l'on devrait s'attendre à le trouver, quarante pour cent d'entre elles ne parlent ni du mot ni de la chose, et un autre vingt pour cent n'emploient pas rang pour décrire le fait; l'absence de l'entité lexicale semble davantage refléter une véritable exclusion qu'exprimer une forme passive dans l'expression.

Quand les écrivains utilisent le mot, ils s'en tiennent, dans presque la moitié des énoncés, à la fonction élémentaire de la localisation de leurs personnages. De plus, la majorité des auteurs n'ont exprimé qu'une matière « rangique » éclatée; ils ont davantage parlé d'un lot, d'une ferme, d'une maison, d'une école, d'une famille, d'un toponyme que de l'aspect communautaire, intégré, des constituants physiques, humains et mentaux du rang, bref, du rang d'abord.

Côté poésie, seuls quelques vers lui sont consacrés et le mot n'apparaît guère en syllabe finale, effacement qui peut être lié au fait que peu d'autres entités (comme sang, étang) permettent de bâtir une rime lexicale riche. Semblable discrétion s'observe dans les chansons. Quant aux peintres et aux photographes, ils ont été moins avares mais rien dans les arts n'équivaut aux milliers de documents des arpenteurs, des toponymistes et des locuteurs de tous genres.

Trois circonstances aident à comprendre la réserve des littéraires québécois à l'endroit du rang (au sens d'habitat rural). D'abord, dans la langue de l'Hexagone, avant les dernières décennies, n'existait pas l'acception canadienne; afin de parler français, beaucoup d'écrivains d'ici préféraient à rang, côte, seigneurie, campagne, hameau, bocage et village, malgré les dénivellations de signification. Ensuite, de 1850 à 1950 environ, le rang eût pu trouver avantage de la fièvre du terroir mais celle-ci a été noyée dans une idéologie politico-religieuse centrée sur le cadre prééminent de la paroisse. Ainsi, même au plan du plus pur réalisme, le sujet en bloc n'a pas été abordé; il n'existe pas d'œuvre romanesque où le cadre exclusif répond à la notion de « rang «; certains écrivains ont cependant montré l'unité des alignements ruraux. Enfin, plus tard, quand la littérature québécoise entrera dans une phase critique, évaluatrice, intérieure et adulte, le rang sera de nouveau défavorisé en subissant sans distinction la condamnation de toute la ruralité passéiste précédente. Les thèmes de la ville et de l'indépendance n'ont pas servi non plus le rang comme sujet. Durant la totalité de ces deux âges littéraires, les façons imaginantes du rang auraient « été brimées ». Personne ne semble avoir choisi le thème de l'éloignement associé au rang comme facteur propre à sa découverte, à son approfondissement intérieur*.

L'essai versifié qui suit s'inspire de trois types de sources : une association personnelle avec divers milieux ruraux, la lecture de centaines d'œuvres québécoises et une recherche sur la notion de « rang » au département linguistique de l'Université Laval. L'auteur a l'intention de traiter la matière tant au plan « physique » et descriptif qu'au plan mental et fictif. Il propose d'abord le patronyme Du Rang et d'autres néologismes qui exploitent des termes techniques comme cordon, trécarré, rang, portage, étable, drave, boulé, catalogne, mamelmont, poudrerie, skidou. En outre, en plusieurs endroits, des énoncés et des expressions reprennent ce que la littérature a laissé; pouvoir les identifier fournirait aux lecteurs un excellent exercice. L'histoire imaginée des Du Rang se déroule des premières concessions de lots, au XVIIe siècle, jusqu'aux derniers cantons agricoles de l'Abitibi, vers la moitié du XXe siècle; apparaît ainsi un genre d'épopée à la fin tragique. La facture du texte est celle du vers libre mais elle est fixée sur l'utilisation exclusive de rimes phonétiques assonant avec an, am, en et ean; cette contrainte, d'une part, permet une étonnante diversité et, d'autre part, se fait l'écho psalmiste des alignements répétés à l'infini. La série des dix-huit essais exprime trois préoccupations du rang au Québec : l'évolution historique d'une mer de rangs dans le paysage, l'art de vivre des « rangiens » (gens du rang) et l'aspect imaginaire que l'on a attribué au phénomène.

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* Depuis Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (1846), Guillaume Lévesque (1848) et Antoine Gérin-Lajoie (1862), une centaine d'écrivains ont cependant parlé du rang; parmi eux : Arthur Buies, Louis Hémon, Adolphe Nantel, Claude-Henri Grignon, Adélard Dugré, Félix-Antoine Savard, Ringuet, Germaine Guèvremont, Madeleine Ferron et Pierre Perreault. Certains poètes rendent l'écologie du rang mais sans utiliser le mot.

La période littéraire qui contribuera le plus aux notions de rang sera celle de 1925-1955 où l'on verra s'accroître, au-delà de la fidélité usuelle à l'endroit des quatre éléments du système (terre, chemin, maison et gens), soit une dimension critique de la pénible voie de la terre soit la personnalité mentale du rang.





Les Du Rang
Ancienneté des Du Rang
Archipel d'alignements



ANCIENNETÉ DES Du RANG

« Vieux pays », ancêtres des rangs :
colonisation en ligne dans les bois normands,
dans polders, fronteau en wegdorpen,
en Allemagne, dorf en allongement,
Pologne, et autres pays en faisant autant,
d'habitat linéaire témoignant;
depuis le Moyen Âge, mots hring et rang.

Descendants des Gaulois ou des Francs
avec honneur et courage la patrie quittant
de par serment à Saint-Maclou de Rouen
suivant les coutumes de Paris ou d'Orléans,
rêvaient de tout un royaume d'arpents
tout carreautés de Grands Rangs,
bien loin de la misère, au-delà de l'Océan.

Marie Concession et Jos Du Rang
noms et prénoms se transmettant
alias Durand, Durant et Duran
cousins des Laurent, Parent et Dandurand
peut-être des Tourangeau, Granger et Morand
des Béranger, Rancourt, Garant et Corcoran,
tous gens de bon sang
aimant se tirer un rang

Sera pas dans la parenté, le sire Durham.

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ARCHIPEL D'ALIGNEMENTS

Archives révélant
Nouvelle-France établissant
forts, bourgs et alignements;
avec des Savoie, Cormier et Leblanc
en Acadie d'abord, côtes rangeant
sur Golfe, Chemin de Shippagan
et le Grand Raing de l'historien Ferland,
À Miquelon, Ruisseau d'la Mère Durand;
en Pays d'en Haut, les Millerand
et autres rangées s'éparpillant
au lac Mitchigan
à la Baye des Puants;
les Durant louisianant
bayous contournant.

En Canada le plus souvent,
créant des " French Settlements ",
Anglais, ainsi, les désignant
depuis la côte française du Newfoundland.

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En Québec d'antan
En débarquant
Toutes Costes Rangeant
Des rives s'éloignant
Libertés appréciant
Rangs doubles établissant
En toutes saisons bricolant
À corps défendant
L'Abitibi en terminant



EN DÉBARQUANT

Après des lunes sur batimens
d'une traversée remplie de mourants,
navires ennemis menaçant;
sur les battures accostant
enfin débarquant
sur les bords du Saint-Laurent;
au Cap des Diamants
Champlain géographiant;
bois partout murant
ours dévorant
c'nelliers piquant.
Autochtones surveillant
scorbut craignant,
paroles gelant
prochain hyver durant;
frayeur du martyr Lalemant.

Revoir la France espérant
à Dieu s'en remettant.

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TOUTES COSTES RANGEANT

Nonobstant,
Paris concédant,
arpenteur au rhumb de vent
Seigneur à l'arrentement
rotures établissant
enclore mitoyennement;
voies tout par devant
aux limites trécarrant
les lots cordonnant
fixant tenants et aboutissants;
système rangique à quatre éléments :
terres, chemin, maison et gens.
Les habitations deviennent de rang.

Au Pape Noir, jésuites Relationnant
Marie de l'Incarnation Lettrant;
terres aux soldats de Carignan;
filles du Roy à l'avenant,
non venues pour le Couvent.
Que dans les chansons, les belles au bois dormant!

Sa Majesté éditant :
bourgs préférant,
Talon contre l'alignement;
le peuple préfère le rang
victoire de l’habitant,
au long du fleuve géant.

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DES RIVES S'ÉLOIGNANT

Dans les profondeurs pénétrant
about de la forêt en montant
par ronds de fesse et par crans
vers les baisseurs jusqu'à l'étang,
cours d'eau affourckant
rapides inconnus sautant
sur le dos portageant
quart de fleur bien pesant
Jos, « nom de Dieu » invoquant;
abbatis consumant
cailloux enlevant
dans la ligne, digue construisant;
avec bœuf essouchant
au diable ou cabestan,
tous travaux éreintant
du levant au couchant.

Essarts s'étendant
terre neuve faisant
sol promettant
entre souches labourant;
semant les nouveaux champs
à la volée, en marchant;
au four banal, pain dorant,
à la brimballe, eau puisant,
savon et perlasse fabriquant,
p'tits fruits ramassant.
La Marie accouchant
le desservant aussitôt baptisant.

Nouveaux établissements
honneur aux deuxièmes rangs.

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LIBERTÉS APPRÉCIANT

Libertés appréciant
coureur de bois s'obstinant
ne pas rentrer dans le rang
couche indienne obsédant
eau de vie : carburant;
Jésuites s'énervant
en haut lieu dénonçant.

Colon s'en va chassant
zigzaguant à pas lent
d'être vu évitant,
mousquet à portée d'élan,
canard abbatant;
sans cesse braconnant
peaux de fourrure apprêtant
castor bien payant
au croc et verveau pêchant.

Au loin s'esquintant
poussières d'or ramassant
pour tout perdre bien souvent.
Le beau grand, enfin revenant
fait frémir les filles du rang
mais l'appel du large le reprend.

Être émigrant
pour faire d'la grosse argent;
mettre la ferme à l'encan
les avoirs au plus offrant;
par les gros chars s'exilant.

Affaires désappointant :
emploi, non sur le champ
dollars gagnés chèrement
fact'rie assourdissant
comme débardeur s'éreintant
d'ennui, à petit feu mourant;
revenir, bien gênant!
mais la face sauvant
en s'installant dans un autre rang.

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RANGS DOUBLES ÉTABLISSANT

Colonisation s'étendant
maison en pierres de champs
remplaçant premier camp.

Dérangés, en charrette arrivant,
en petites cadies s'établissant
à Saint-Jacques de l'Achigan.
Grants par Haldimand
Anglais townshipiant
par ranges subdivisant,
grands domaines se permettant
en colonisateur conquérant,
lots de clergy réservant
Indiens dans Réserves refoulant.
Bas-Canada concessionnant
en soccage commun et franc
aux forêts s'attaquant
tel Paul Bunyan;
au stone-boat épierrant;
terres de deux cents acres s'achetant
à des prix exorbitants.

Roads par le gouvernement
prêtres missionnarisant
rangs doubles prévoyant
chemins encore cahotants;
grain sur grain sans assolement
assure haut rendement

mais sol arable s'épuisant;
à la ferme gros roulant
de grands bâtiments élevant
foin et paille engrangeant;
tout passe au feu bien souvent.
L'été, animaux pacageant
dans planches de refend
mais clôtures sautant
pour atteindre meilleurs champs;
l’habitant, pagées consolidant
broche piquante rajoutant
[mais son p'tit beu, jalousant,
voudrait bien en faire autant].

Ainsi, une orgie d'alignements
de part et d'autre du Saint-Laurent
s'étale des ranges de Saint-Armand
jusqu'aux champs de Manicouagan.

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EN TOUTES SAISONS BRICOLANT

Toujours à plein temps
suivant le firmament 

durant l'hivernement
pays tout en blanc;
s'occupe aux batiments
bois d'érable fendant,
chemin levant ou roulant;
l'isolement allonge le temps.

Enfin, rendu au printemps
glaciel débâclant
routes défonçant;
près des cabanes entaillant,
qu'après Pâques, bec se sucrant,
puis, mois de Marie, aimant.

En été, étouffant
petite cuisine utilisant,
foin dans tasseries empilant,
chemin poussiérant,
moustiques malendurant;
pleine vie au cœur des amants.

Aux jours déclinants,
érables tout en sang
récoltes entassant
animaux stabulant
car engel menaçant;
mois des morts, âmes, remuant.

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À CORPS DÉFENDANT

Au besoin, Jos artisan
Randonne lieux environnants
comme crieur d'encan
cochon saignant
scieur de gang
au horse pow, sarrasin battant.
À l'occasion colportant
flair de Normand
des marchés au courant
au village, commerçant;
bétail maquignonnant
avec ou sans warrant.
L'été, gratte patronneuse passant
gravelle charroyant;
l'hiver, chemin ouvrant,
ranges pour rencontres prévoyant.
Aux chantiers périodiquement
jobbeur entreprenant
bûcheron ostiant
pitoune entassant
sans peur, dravant
chantant bang sur la rang
bonnes gages honorant
manger gargantuant,
toute la nuite, poux attaquant.

Pendant ces déplacements,
Marie, demeurée au rang
au train, s'effiéllant
d'une grosse famille s'occupant
sur métier catalognant.
Le soir tombant
inquiète et pleurant
« seule, seule », s'ennuyant;
sans lumière, du châssis évaluant
le rôdage des soupirants.

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L'ABITIBI EN TERMINANT

Emparons-nous du sol, cent ans de slogan
tous les pouvoirs claironnant.
Après le Lac-Saint-Jean,
conquête du Nord, se poursuivant;
les villes, la Crise ‘30 affamant
politiciens réactivent leurs plans
de terres de cent arpents
par cantons de dix rangs;
l'Abitibi agricole s'agrandissant
Félix-Antoine Savard encourageant
familles par Transcon arrivant;
colonies entre corps morts se dressant
à tous risques, climatiquement;
p'tits octrois touchant
après pénibles défrichements;
d'abord, beau bois coupant
changer de lot pour en faire autant.
La misère noire tout le temps
plus de rêves chez l'habitant.

Guerre de ‘39 arrivant,
prospérité, de nouveau s'offrant
fièvre de colonisation s'éteignant
lots désertant
fermeture de nombreux peuplements
forêt vers la maison revenant;
tristesse de tant de repliement :
« Seul le fanal me restant »
De si jeunes rangs, déjà mourants.

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Voies et voix de rang
Brave école de rang
D'adon, bon vivant
Avec art, chouennant
Dieu et diable assiégeant
Tel Euchariste Moisan
Milliers de désignants



BRAVE ÉCOLE DE RANG

Héroïque École de rang
bien située dans le mitan
parents/commissaires engageant
maîtresse pleine de dévouement;
ses amours sacrifiant
ses peurs dominant
ses humeurs contenant
pour salaire d'indigent.
Des générations de Du Rang
apprennent à se mettre en rang
puis à lire, laborieusement
leçons d'agriculture recevant;
au pupitre, souvent absent :
rhume, et travail aux champs;
devoirs à la lampe faisant;
à l'église, messe servant
au catéchisme marchant
le curé, vocations dépistant;
monsieur l'Inspecteur visitant :
grand congé attribuant
de monter de classe décidant.

Système plutôt décevant
mal appuyé par les payeurs des rangs
et députés du Parlement.

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D'ADON, BON VIVANT

D'adon, bon vivant
Baptiste, toujours fringant
cherche la rose du rosier blanc
hommes et créatures se désirant,
se découvrant et s'aimant
dans les granges et les champs
aux limites du Bois Blanc
ou l'arrière du Rest-o-Rang.
Pendant le Carême s'abstenant.

Les jeunesses de rang
à Noël, pour la vie, s'engageant
publication des bans;
si, sans empêchements 
mariage au printemps
la vierge tout en blanc.
Tôt, revenus au rang
ne pas perdre de temps
se coucher au plus sacrant
faire beaucoup d'enfants
progéniture pur-sang.
Curé jubilant.
Anglais s’inquiétant.

Whisky du Pied du Courant
ou dans l'ombre bagossant;
chez Jolifou, coude levant
la compagnie saluant
au caribou et p'tit blanc;
dans les veillées de rang
violoneux entraînant
reel dansé en frôlant
la baquèse swignant;
encore un boire s'envoyant
les Marie des autres bâdrant;
les Laurent Durant
chansons salées fredonnant,
enfants s'en promettant.
L'homme de Dieu s'encolérisant,
de nouveau condamnant
mais Jos toujours recommençant,
car penchant pour le frivolant
et l'ordre de Bon Temps.

Genre de vie ennuyant
Dans cet ancien temps?

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AVEC ART, CHOUENNANT

Avec art, chouennant
avec parents et passants;
au magasin général, bavardant
allant sus le sens du vent.
Dans maisonnée remplie d'enfants,
le passé rappelant.
Politique discutant
portrait de Laurier dominant
de Riel se souvenant;
avec Irlandais bataillant
fiers-à-bras boulant
avec ou sans Montferrand;
jusqu'en Cour, clôtures chicanant.
Foyer accueillant
à tous coureux de rang
faisant taire chien méchant
soupe et coucher offrant;
en retour, le mendiant
histoires et courriers racontant
ou, par malheur, sort jetant.

Toujours ménageant;
fierté de payer comptant
mais, dans les poches, pas d'argent
plus endetté que pesant;
prêteur oppressant
à la Toussaint, comptes réglant;
si autres arrangements,
homme d'Église endossant.

Par notaire ci-devant
faisant testament
passent l'héritage au couchant
un sauveur leur succédant;
au village se retirant
sur petit emplacement
le vieux gagné mangeant;
toute la lignée recevant.

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DIEU ET DIABLE ASSIÉGEANT

Tous les descendants
de Jos et Marie Du Rang
en Dieu sûrement croyant
vivant chrétiennement
ayant le Manuel des Parents
pénitence à l'Avent
carêmant un mois l'an
à la Croix du Chemin se découvrant
sus l'clocher paroissial s'orientant
au courant des Commandements
invoquent Notre-Dame-des-Champs,
procession derrière le Saint-Sacrement,
les sept scapulaires recevant
respectent la Saint-Jean;
dans les grands bois, Ave égrenant,
prières en famille récitant
devant Cœur de Jésus saignant.
Par soir de méchant temps
tonnerre grondant?
cierge allumant
eau bénite aspergeant.
Le dimanche, en vue, dans le banc
donnent d'l'argent sonnant;
devant l'Enfant s'agenouillant
fredonnant le Minuit d'Alphonse Adam;
font Pâques régulièrement;
se laissent parler du Vatican.

À l'Église, fils et filles offrant
suivant la nature des sédiments;
l'Évêque ordonnant
met en liesse tout le rang
l'oncle curé voit remplaçant.
Pas sur terre pour faire d'l'argent!
de la bonne mort s'assurant
en payant sa vie durant;
toutes indulgences accumulant.
Cheval au trot pour doubler Anglicans;
devant temples, se signant
évitent protestants,
mort aux francs-maçons, jurant;
au Cap pèlerinant.
Se croient bons pratiquants.

Mais le Diable assiégeant.
Par chasse-galerie voyageant
pour calmer blondes de tourments.
À des mitaines adhérant
si l'culte ne se fait pas dans l'rang.
Sur la dîme trichant,
réputation d'autrui grignotant.
Prêtres sermonnant,
péchés de nouveau confessant
Grand Manitou encore pardonnant.

Et, en expirant,
rassemblant les enfants
par décès sanctifiant
Extrême-Onction recevant
ciel méritant,
mais Purgatoire en attendant!

[Sommaire]



TEL EUCHARISTE MOISAN

Écritures révélant :
Vézine de Batiscan
Lorenzo Surprenant
tous les Jos Connaissant
Tipite Vallerand
brigant, Le Grand
l'abbé Surprenant
Robillard, Alban
l'oiseau migrateur Vincent
le malheureux Père Deschamps
le protestant Bob Corrigan
Marie-Louise des Champs
la Genest, son fils cherchant
l'inattendu Survenant
de téméraires Prétendants
le symbolique Juif Errant,
sans compter les Ti-Jean
tous personnages issus des alignements.

Des titres exprimant :
Voyages de Lahontan
Chemin faisant
L'enfant
Claude Paysan
Conscience de croyants
Trente arpents
Pays sans bon sens

Les Courriers de Marchand
Le Survenant
Le Canadien errant
Les Fils du Saint-Laurent
L'École de rang
Hortense du Septième-Rang
Le Débutant
Une mine d'argent

Un seul poème sur le rang.

[Sommaire]



MILLIERS DE DÉSIGNANTS

Noms de lieux attribuant
du Premier au dernier rang,
par milliers, les désignants :
toutes les rangées des Du Rang;
puis, Rang Dequen
Village-à-Beauchamp
Les Quarante-Arpents
les Petit-Rang
la Côte de Batiscan
la Route du Lac-Blanc
le Chemin du Gouvernement
la Montée des Éboulements
le Cordon du Rapide-Blanc
le Ruisseau du Saint-Laurent
la Décharge du Rang
le Rang du Bois-Franc
l’Anse de l'Étang
le Canton de Brochant
le Rang Vivian
les carrés de Saint-Alban
le Rang G de Montauban
le Coin-du-Banc
À Sainte-Anne, les Sept-Crans.

Arpenteurs, rangées numérotant
jusqu'au Quatorzième Rang;
d'Hébertville, le Dix-huitième rang
ici, le P'tit Deuxième [Rang]
là, le Grand-Neuvième [Rang],
mais autres noms par résidants.

L'anecdote inspirant :
Rang des Payant
Rang des Vents
Lac Écartant
Le Virant pour Vieux-Rang
Mamelmontant;
dans Bellechasse, Vitcontent;
Cul creux et Ruisseau des Chiants
Scotch Concession devenu Rang,
le Rang-des-Écœurants!
et la Décharge du Derrière du Troisième-Rang.

Termes populaires, religion remplaçant
vrais et faux Saints envahissant :
Sainte-Monique-du-Lac-Saint-Jean
dans Stoneham, Saint-Venant;
Saint-Amour, Saint-Pourri, Sainte-Toutoune dans les rangs
Saint-Grelot, Saint-Amateur, Saint-Câlis, spontanément,
Saint-Machoire, issu d'Ashuapmushuan
Sartigan devenu Saint-Igan.
Que de Saints encombrants!

[Sommaire]





Et maintenant
Visions s'opposant
Malgré des efforts éreintants



VISIONS S'OPPOSANT

Visions s'opposant
révélant aspects du dedans.
L'une enthousiasmant :
sol et forêt nourrissant
indépendance des habitants
au loin regardant
volonté d'être vaillants
esprit conquérant
sur leurs terres régnant
genre de vie gratifiant;
gens bien pensant
qui tiennent toujours au rang.
Quand l'écho des voix de rang
et les humeurs des rangs,
au travers des branches murmurant,
le « pays de Québec » sort triomphant.

L'autre vision, tout en cause mettant :
système exploitant
ces braves gens des rangs;
mauvais temps, trop souvent
récoltes menaçant;
la neige, des mois poudrant
imposant l'isolement;
clôture partout limitant

lisière du bois enfermant
bien pesant sus l'tempérament;
urbains intimidant
l'habitant-chien-blanc
en parlant d'épais des rangs.
Routes et chemins toujours invitant
à prendre la clef des champs;
la ville attirant,
jeunes s'imaginant
pas de bonheur dans les rangs;
Eutrope, trois ans se résignant.
Au bout des alignements,
ont-ils perdu leur temps?

Québec, pays du monde le plus en rang :
des paysages au tempérament
l'aurait-il été tout autant?

[Sommaire]



MALGRÉ DES EFFORTS ÉREINTANTS

D'après aveux et dénombrements,
les descendants des descendants
trois siècles durant,
sur lots désappointants,
autant restant et endurant
que partant et errant;
parfois, du lointain, revenant.

Et maintenant,
terres abandonnant
tout le bien fout le camp
et les champs retournant
à la « forêt confuse » d'antan;
jeunes en partant
laissent maisons sans vivants.
Ainsi, des milliers de rangs
rang par rang
vont à l'emporte le vent.
Dans d'anciens chemins de rang,
sportifs skiant et skidouant
l'été, pédoroulant;
campagne se transformant
cultures s'industrialisant;
par l'accueil d'estivants
nouveaux courants circulant.
Église se désolant
de perdre tant de clients.

Signes de la mort du rang?
chant du sol languissant
car moins de bon sang
d'habitants et d'enfants.

Le Québec, se souvenant
des millions de ses Du Rang
pénètre plus avant dans le mythe du rang.

[Sommaire]



été 1986.

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Petite-Rivière-Maskinongé, Saint-Didace
Boulevard Sainte-Marguerite, près de Trois-Rivières
Troisième Concession de Fossambault, Sainte-Catherine
Rang Saint-Joseph, Sainte-Christine, Portneuf
Chemin du Roy, Saint-Augustin-de-Desmaures
Rangs de canton, Despinassy, Abitibi
Pied-de-la-Côte, Saint-Barthélemy
Township, Stanstead.